Les mesures raisonnables pour préserver le secret
Si la détention d’un savoir-faire ou d’un secret de fabrique ne confère pas à son détenteur un droit de propriété intellectuelle exclusif assorti du droit d’agir en contrefaçon vis-à-vis de tiers, il est toutefois possible pour son détenteur de se prévaloir des sanctions civiles et pénales en matière d’atteinte illicite et/ou de révélation du secret (cf. La protection par le secret). Tout l’enjeu réside alors dans la preuve de la préexistence du secret en cause et des obligations mises à la charge des tiers éventuellement autorisés à y avoir accès.
L’article L151-1 du Code de commerce précise que le secret des affaires doit – pour être reconnu – « faire l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »
La sécurisation physique du savoir-faire est la priorité pour garantir son intégrité (restrictions d’accès physiques et/ou numériques, sécurité des systèmes informatiques, etc…). Par ailleurs, des outils techniques permettent d’assurer la preuve et la traçabilité du savoir-faire, tandis que des moyens contractuels permettent une divulgation sécurisée et sanctionnable du savoir-faire dans les relations avec les tiers.
Les moyens de preuve et de traçabilité
- Le dépôt d’une enveloppe Soleau électronique (e-Soleau)
Le service de dépôt en ligne e-Soleau permet d’établir une preuve de l’existence de la création à une date certaine, assortie d’une empreinte calculée et conservée dans le système d’archivage électronique de l’INPI pour en acter la titularité (celle-ci est aussi transférable). Le système d’archivage est sécurisé et a une valeur probatoire en cas de litige.
- Le cahier de laboratoire
Le cahier de laboratoire est un outil papier ou numérique de traçabilité des travaux de recherche pour les entreprises et les laboratoires de recherche. Il permet d’avoir le détail des travaux menés, de l’idée de départ à la conclusion, et constitue un moyen juridique pour prouver l’antériorité de résultats de recherche. Par le formalisme qu’il impose (numérotation des pages, notations à l’encre indélébile, etc.), il permet, entre autres, d’assurer la traçabilité des connaissances et d’estimer précisément les contributions scientifiques et techniques de chacun dans le cadre de travaux de recherche, en interne ou avec des tiers.
- Le dépôt d’acte auprès d’un officier ministériel (notaire ou huissier de justice)
Cet outil de traçabilité du savoir-faire est particulièrement utile si vous souhaitez faire valoir vos droits à l’étranger puisque grâce à des conventions internationales, le dépôt d’acte chez un officier ministériel permet une reconnaissance forte et quasi-systématique à l’étranger.
- L’horodatage électronique
L’horodatage consiste à apposer une date infalsifiable sur un document dématérialisé. Ainsi, il garantit la non-modification de ce dernier depuis la date qui a été apposée. En cas de litige, l’horodatage électronique permet de prouver l’antériorité du document certifié conforme au règlement européen eIDAS.
Dans le cas particulier où le savoir-faire est brevetable (exemple : un procédé de fabrication), il est possible d’effectuer une demande provisoire de brevet afin de continuer à développer une innovation tout en se prévalant d’un droit de priorité (à partir de la date de dépôt) en vue d’une éventuelle protection par brevet. A compter de cette date, un délai de 12 mois permet de réfléchir à la stratégie de mise sous secret in fine (après retrait de la demande de brevet) ou à la continuité des démarches en vue de la protection par brevet. Si cette dernière est confirmée à l’issue de ce délai, une mise en conformité en vue de l’obtention d’un brevet classique sera réalisée et le procédé sera divulgué à partir d’un délai de 18 mois.
Les moyens contractuels de sécurisation de l’accès au secret
Dans les relations avec les tiers, notamment en vue d’accords de transfert de technologies ou encore d’accords commerciaux (ex : sous-traitance), l’accord de confidentialité est l’outil incontournable de protection du secret. Il interdit la divulgation et l’usage non autorisé d’informations confidentielles qui ont été communiquées à l’occasion d’une négociation ou de la passation d’un contrat.
- Il permet de couvrir et d’encadrer de façon précise les notions de non-divulgation (secret), de non-exploitation et de non-concurrence ;
- Il permet d’identifier et de sécuriser contractuellement les informations et données relevant du savoir-faire qui ne peuvent pas bénéficier d’une protection via un titre de propriété industrielle ou le droit d’auteur.
La jurisprudence considère qu’un procédé de fabrication peut constituer un secret de fabrique s’il n’est connu que d’un petit nombre d’industriels. A contrario, on peut imaginer que le recours excessif à des accords de confidentialité pour divulguer un secret de fabrique auprès de nombreux industriels puisse remettre en question le caractère secret in fine. L’accord de confidentialité n’est pas une sécurité absolue et doit être doublé d’une divulgation prudente des éléments secrets.
Les stratégies contractuelles pour valoriser le secret
Le contrat de franchise dans le domaine de la distribution
Le contrat de franchise scelle l’accord entre un franchisé et le franchiseur qui lui accorde le droit d’exploiter sa marque et son savoir-faire dans le but de commercialiser les produits et/ou services du réseau de franchise.
Le franchiseur doit transmettre un savoir-faire à son franchisé. Comme exposé dans l’article Panorama des notions, il s’agit d’un ensemble d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du franchiseur et ayant permis sa réussite commerciale. Concrètement, le franchiseur doit transmettre au franchisé une connaissance pratique et concrète de ses méthodes pour lui permettre d’acquérir un avantage concurrentiel assorti d’une obligation de respect du secret.
Selon le Code de déontologie européen de la franchise, le savoir-faire d’une franchise doit être:
- secret, c’est-à-dire difficilement accessible par une personne extérieure au réseau ;
- substantiel, c’est-à-dire être significatif, concret et utile au franchisé en lui permettant d’exercer son activité de manière performante tout en lui conférant un avantage concurrentiel ;
- et identifié, c’est-à-dire avoir été formalisé sur un ou des supports permettant sa transmission (généralement dans un manuel opératoire ou dans le contrat de franchise).
La conclusion d’un contrat de franchise sans la transmission d’un savoir-faire secret, substantiel et identifié n’est pas valable.
Le contrat de licence de savoir-faire
En tant que connaissance technique secrète non brevetée et nécessaire à la réalisation d’une activité économique, le savoir-faire est très souvent nécessaire à la mise en œuvre d’un brevet.
Aussi, le savoir-faire peut faire l’objet d’un contrat de communication de savoir-faire ou être intégré dans un contrat de licence de brevet (savoir-faire associé) destiné à concéder à un tiers le droit de l’exploiter à des fins industrielles et commerciales.
Si l’enjeu d’une telle contractualisation réside notamment dans la contrepartie financière des droits concédés au tiers, l’autre priorité est de prévenir, par des clauses adaptées, tout risque de divulgation du secret, susceptible de réduire à néant la valeur du savoir-faire et de rendre caduc le contrat de licence.
On rappellera que le savoir-faire – pour être transmissible – doit être dissocié de la personne de son auteur et être constitué sous la forme d’un corpus exhaustif permettant au bénéficiaire de le reproduire. Il est à dissocier de l’expertise personnelle ou du tour de main qui sont difficilement reproductibles (voir Article Panorama des notions).
Pour pouvoir faire l’objet d’un contrat de licence, le savoir-faire doit être transmissible et donc formalisé de manière exhaustive (recette, procédé, etc…). Des précautions sont à prendre quant à la transmission des données secrètes en amont de la passation du contrat au risque de voir le futur licencié mettre fin aux pourparlers après s’être emparé du savoir-faire.
En amont du contrat de licence, il est donc recommandé de :
- Déposer une e-Soleau dès génération du savoir-faire ;
- Signer un accord de confidentialité en amont des négociations ;
- Favoriser une traçabilité des échanges au cours des pourparlers ;
- Ne divulguer qu’une partie du savoir-faire ou même uniquement le résultat de l’utilisation du savoir-faire (et non le savoir-faire lui-même)
Pour la conclusion du contrat de licence, il est recommandé de :
- Fournir un corpus exhaustif détaillé du savoir-faire au licencié
- Prévoir des obligations de confidentialité renforcées et réciproques pour la préservation du caractère secret
La valorisation de l’expertise du chercheur dans le transfert de technologies
Il est parfois difficile de faire entrer le transfert de technologie dans les cases imposées par les notions juridiques autour du savoir-faire. L’expertise n’échappe pas à cette règle et ne peut être valorisée par le même véhicule juridique que les notions précitées. C’est un mode de valorisation singulier et complémentaire du transfert d’actifs immatériels.
Outre la possibilité pour les laboratoires de recherche de valoriser leur expertise acquise en s’impliquant dans des partenariats avec des industriels par le biais de contrats de collaboration de recherche ou de prestations de services, les chercheurs peuvent s’associer au transfert de technologie stricto sensu grâce aux dispositifs des articles L531-1 et suivants du code de la recherche.
Fondé sur l’existence d’une licence d’exploitation d’actif immatériel avec une entreprise, un chercheur peut – dans des conditions particulières – accompagner le licencié en apportant son concours scientifique (art. L531-8 à L531-9) ou en devenant associé ou dirigeant d’une entreprise (art. L L531-1 à L531-6). Ce mode de valorisation de l’expertise du chercheur peut par exemple venir en complément d’une licence de savoir-faire au sein de laquelle il n’est pas possible de transmettre une expérience, une ressource intellectuelle, un tour de main, etc.
En bref, il faut garder à l’esprit que le savoir-faire et l’expertise sont deux notions distinctes mais qui dans l’absolu n’en demeurent pas moins complémentaires.