Nous avons interrogé Arnaud Tanguy, Chef de Projet Thématique de la Business Unit TIC et Sigolène Canaguier, Chef de Projet Thématique de la Business Unit Sustainable Chemistry & Materials chez Ouest Valorisation au sujet des projets portant sur des éléments de savoir-faire en gestion à la SATT.
Avez-vous eu l’occasion de traiter beaucoup de dossiers relatifs à de la protection d’un savoir-faire (SF) dans le cadre de vos missions à la SATT ?
Arnaud Tanguy : Ce ne sont pas les dossiers que l’on a le plus à gérer. Dans mon cas, je retiens quatre dossiers relatifs au savoir-faire, dont deux peuvent faire l’objet d’un transfert à une start-up.
Sigolène Canaguier : Je n’ai qu’un très faible nombre de dossiers « savoir-faire » (moins d’1%) comparé au nombre de dossiers « brevets ».
Quelle est la procédure de protection d’un SF à la SATT? Comment est-elle matérialisée dans le cas où on ne souhaite pas déposer de brevet ?
AT : A la SATT, l’équipe chargée de la détection des technologies à protéger est composée des chefs de projet et des ingénieurs brevet : les uns ou les autres peuvent ouvrir les discussions sur le sujet avec les chercheurs. Les chefs de projet évaluent alors, au moment de la complétion de la déclaration d’invention ou de savoir-faire par le chercheur, quelle protection pourrait être la plus appropriée. Les qualités intrinsèques de la technologie et l’expérience propre des chefs de projet sur d’autres dossiers permettent d’orienter la décision. Nous pouvons consulter le Comité interne d’Investissement (nos directeurs SATT) de la SATT pour expliciter le choix d’une déclaration de savoir-faire plutôt que d’une déclaration d’invention qui donnera lieu au dépôt d’une enveloppe Soleau.
Comment est déterminée la stratégie lorsqu’une détection de SF est réalisée ?
AT : Une des premières questions que l’équipe se pose lorsqu’une détection a lieu est de savoir comment nous pouvons la protéger.
En général les équipes de recherche préfèrent protéger par brevet, car cela leur permet, suite au dépôt, de pouvoir publier au sujet de la technologie. Il est également plus facile de valoriser le travail effectué auprès des fonds d’investissement, lorsque l’on présente des titres de propriété intellectuelle tels que les brevets.
Pour déterminer la nature de la protection la plus adaptée à l’actif de propriété intellectuelle en question, l’équipe projet détermine quels sont les impératifs de la technologie, notamment l’importance du secret.
En effet, en cas de dépôt de brevet, la technologie est divulguée et cela peut notamment avoir pour conséquence d’exacerber la concurrence. La publication de la technologie à l’occasion d’un dépôt de brevet peut permettre aux concurrents de faire de la contrefaçon là où le brevet ne protège pas certains éléments de la technologie, ou d’améliorer la technologie pour la contourner, rendant le brevet très vite obsolète.
Certains actifs se prêtent très bien à la protection par le secret. C’est le cas des technologies qui, même lorsqu’on les possède, ne permettent pas le reverse engineering, du fait d’avoir un process de fabrication associé dans l’élaboration du produit fini. Par exemple, dans certaines recettes, comme celle du Coca Cola, il n’est pas possible de reproduire le produit en analysant simplement ses ingrédients qui sont facilement identifiables.
SC : Il peut aussi arriver que lors de l’examen de la technologie par l’équipe projet, on constate que la technologie n’est pas protégeable par brevet car il ne remplit pas les critères de brevetabilité. La protection au titre du secret peut alors être une bonne alternative, afin de réserver l’utilisation de la technologie aux ayants-droits exploitants de ce savoir-faire.
Quels sont les enjeux liés à ce type de dossier ?
AT : La technologie doit être robuste pour justifier sa formalisation dans une déclaration de savoir-faire et la nécessité de le garder secret. Pour cela, les critères de qualification de la notion doivent être respectés (le savoir-faire doit être secret, substantiel et identifié).
Le fait de respecter la stricte confidentialité peut aussi compliquer sa valorisation dans le cadre de transfert à des tiers, car il nous faut alors convaincre l’exploitant potentiel et les fonds d’investissement de l’intérêt du savoir-faire sans le leur divulguer. Pour cela, on s’attache à expliquer les bénéfices et les grandes étapes de réalisation. C’est un exercice délicat.
SC : La confidentialité est en effet au cœur de ces dossiers, car le savoir-faire n’est protégé et valorisable que s’il reste secret. Cependant, le secteur de la recherche académique a pour mission la diffusion des connaissances. Il faut donc convaincre les chercheurs inventeurs du potentiel de valorisation de leurs travaux si on doit les garder confidentiels à long-terme. Il faut également que les moyens pour garder secret ce savoir-faire puissent être mis en œuvre au sein du laboratoire.
Le traitement des dossiers où un savoir-faire est lié à un brevet est-il différent des cas où le SF existe indépendamment d’un brevet ? Quelles sont les problématiques rencontrées dans le traitement de ces dossiers ?
AT : Dans mon cas, je n’ai eu que des savoir-faire qui n’étaient pas associés à des brevets.
En revanche, il est arrivé que nous partions sur une protection par brevet à l’origine, mais après examen du dossier il s’est avéré qu’une protection au titre du savoir-faire était plus adaptée, car il était important de se prémunir de la concurrence dans le cadre de la stratégie de l’entreprise.
L’actif peut aussi faire l’objet de plusieurs protections distinctes : par exemple, au titre du logiciel pour un programme informatique, et au titre du savoir-faire pour protéger les années de réflexion des chercheurs sur un procédé de mise en œuvre du programme. Il convient également de s’interroger sur la mise en place d’un dossier technique secret (DTS) si cela peut être plus adapté.
SC : A l’inverse, je n’ai eu que des cas où le savoir-faire est associé à un brevet. Un transfert couplé du brevet et du savoir-faire est alors à prévoir, si une exploitation efficace du brevet transféré est souhaitée. Il convient alors de négocier en conséquence le transfert des deux actifs au potentiel exploitant, d’une part par la signature d’un contrat de licence de brevet et d’autre part par un contrat de communication de savoir-faire.
Il est possible qu’un brevet protège un élément, par exemple un composé chimique, et une manière de le synthétiser, et qu’un savoir-faire matérialisé dans un protocole amélioré du procédé de préparation du composé soit associé à cet actif. Ce procédé de préparation peut par exemple permettre un meilleur rendement lorsqu’il est appliqué, ou permettre une préparation plus rapide du composé en question.
Dans ces cas de figure, il est nécessaire de bien tenir compte des deux actifs (brevet et savoir-faire) en cas d’opérations de transfert ou de sécurisation de la technologie. Il peut même y avoir un intérêt à proposer un contrat unique pour licencier le brevet et le savoir-faire en même temps, pour éviter que le partenaire ne s’intéresse qu’à la licence de brevet, lorsqu’il a eu connaissance des éléments du savoir-faire.