Vectorologie et chimie, alliés pour une thérapie génique performante
Les laboratoires TaRGeT et CEISAM de Nantes Université ont jumelé leurs compétences pour travailler ensemble sur le développement de vecteurs viraux modifiés chimiquement, capables d’aller cibler des organes porteurs d’un gène défaillant.
Objectif lointain : proposer des thérapies géniques efficaces et accessibles.
Coupler un vecteur viral inoffensif et une molécule bien choisie pour cibler un organe porteur d’un gène défectueux : voilà toute la stratégie développée par Mathieu Mével (laboratoire TaRGeT) et David Deniaud (laboratoire CEISAM), qui ouvre la voie à de nouveaux traitements pour la thérapie génique.
C’est en 2014 qu’une collaboration a émergé entre les deux laboratoires. Elle s’est étoffée au fil des années, jusqu’à la création d’une équipe mixte au sein des laboratoires TaRGet et CEISAM, qui travaille désormais sur l’outil le plus en vue actuellement au niveau mondial dans le domaine de la thérapie génique : les virus adéno-associés (adeno associated virus – AAV). Inoffensifs, ils sont utilisés pour faire pénétrer des gènes thérapeutiques dans des cellules cibles, par exemple pour soigner des maladies héréditaires rares.
« La thérapie génique est aujourd’hui une réalité clinique puisque cinq médicaments ont été mis sur le marché aux États-Unis et en Europe », détaille Mathieu Mével. Mais les difficultés liées à ces nouveaux médicaments sont majeures.
D’abord, leur coût est élevé : environ 2 millions de dollars la dose pour la plus chère, ce qui en limite fortement l’accès. Ensuite, il faut en injecter des quantités très importantes, car ces médicaments ne sont pas spécifiques à un tissu ou un organe. Enfin, il existe des complications d’ordre immunologique : ces virus sont fréquents et une majorité de la population a d’ores et déjà développé des anticorps contre ces derniers. Avant l’utilisation d’un traitement, un dosage sérologique est nécessaire pour connaitre le niveau d’anticorps. S’il est trop élevé, le traitement ne peut être utilisé chez le patient.
Certaines stratégies sont certes développées au niveau mondial pour esquiver ces problèmes, mais elles-mêmes restent longues et coûteuses.
Leurrer l’organisme
« Nous avons utilisé notre propre voie », enchaîne David Deniaud. « Nous modifions la surface des AAV (la capside) en la couplant avec des molécules chimiques (voir encadré, NDLR). Les objectifs sont multiples : obtenir un meilleur ciblage des cellules et diminuer ainsi les doses nécessaires au traitement et ainsi sa toxicité ; en modifiant la capside, nous espérons également leurrer l’organisme, qui pourrait être moins tenté de rejeter l’AAV. »
Peu de laboratoires au monde s’intéressent à cette voie, en tout cas, aucun ne l’affirme haut et fort, le domaine de la thérapie génique étant un secteur plutôt discret.
« Beaucoup d’équipes dans le monde travaillent sur le génie génétique (mutations génétiques des acides aminés des capsides), donc sur la modification biologique des AAV. L’avantage de la modification chimique est que l’on peut imaginer greffer de nombreuses molécules différentes sur les AAV, qui jouent alors un rôle de plate-forme. »
L’intérêt des industriels pour cette technologie se fait sentir. « Deux sociétés, l’une américaine et l’autre française, ont licencié nos brevets. Nous avons aussi passé deux contrats de collaboration avec des sociétés israélienne et nantaise. La force de ce projet vient de l’équipe que nous avons créée », insiste David Deniaud. Les deux chercheurs partagent d’ailleurs leur temps entre les laboratoires, dont ils sont respectivement associés. « Souvent les collaborations s’éteignent avec le temps, mais nous avons réussi, grâce aussi à la volonté de nos directeurs de laboratoire, à poursuivre cette stratégie et devenir multicompétents. »
Le chercheur précise en conclusion que : « Nous avons des résultats encourageants. Mais nous rappelons que nous en sommes au stade de la recherche et bien loin d’envisager la production de médicaments. »
Des têtes chercheuses greffées sur les AAV
Les chercheurs utilisent de petits virus à ADN, les virus adéno-associés AAV, pour parvenir à leurs fins. Ils incluent d’abord le gène souhaité dans ces AAV. Toute l’innovation réside ensuite dans la manière de véhiculer ces AAV jusqu’à l’organe cible, en l’occurrence la rétine, le foie ou encore le cerveau.
En effet, ces virus inoffensifs possèdent en surface un assemblage d’acides aminés qui forment une sorte de coque, la capside.
Les chercheurs y greffent des ligands (molécules capables de se lier), qui ont pour mission non seulement de protéger le gène à l’intérieur du virus, mais aussi de cibler l’organe ou le tissu, à la manière d’une tête chercheuse.
Les tâches sont réparties : le CEISAM se charge de synthétiser les ligands et le TaRGeT s’occupe du couplage capside/ligands et de leurs caractérisations.
Une fois le couplage effectué et si ce dernier a permis de garder l’AAV intègre, alors l’AAV est injecté in vivo pour tests finaux.
Quel accompagnement de la part de la SATT Ouest Valorisation ?
David Deniaud détaille : « La SATT nous a aidé au montage des dossiers, à l’obtention des licences, et sur le plan financier, pour deux programmes de maturation : l’un de 18 mois sur le ciblage des muscles (liés à la maladie de Duchesne), l’autre sur la rétine et le cerveau qui a démarré il y a deux mois. Les fonds servent à financer le personnel, l’achat de petit matériel, l’expérimentation animale… Nous sommes aussi accompagnés pour la valorisation potentielle du projet. »